Maman d’un enfant autiste, Laurence Gauvry a mis au point des supports d’apprentissage pour favoriser l’autonomie des enfants atteints de troubles neuro- développementaux. Ses outils pédagogiques, Tuteuro, sont aujourd’hui utilisés en IME* et dans des classes accueillant des enfants en situation de handicap. Rencontre à l’EPSMS* Ar Goued de Plaintel.
Rubrique réalisée en partenariat avec Rich’ESS, pôle d’économie sociale et solidaire du pays de Saint-Brieuc.
Dans ce lieu qui accueille des enfants porteurs de handicap cognitif, Tuteuro, le porte-monnaie imaginé par Laurence, est utilisé depuis cinq ans. « C’était compliqué de leur apprendre à rendre la monnaie, explique Aurélie Dessart, éducatrice spécialisée. Nous n’avions pas de support. Or, l’autonomie passe aussi par l’achat d’un gâteau, la possibilité d’aller boire un verre et de payer tout seul ». C’était l’ambition première de Laurence pour son fils : «qu’il puisse s’intégrer au maximum, qu’il comprenne le monde qui l’entoure. Je rêvais qu’il soit capable d’aller chercher le pain ». Elle met au point le pre- mier porte-monnaie et, avec la complicité de la commerçante, son fils va acheter le pain.
Payer tout seul, c'est être acteur. « C’était un moment de joie pour lui, il me précédait. Il communiquait avec la boulangèreavec des pictogrammes puis il réglait tout seul ». L’entourage de la jeune maman l’encourage à développer l’idée mais son fils rencontre des problèmes de santé et elle met le porte-monnaie dans un tiroir. Il en ressort lorsqu’une éducatrice envisage d’emmener, à nou- veau, son fils faire des courses. Entre temps, Laurence l’a amélioré. « Il y a plus de cartes, ils peuvent faire une liste de courses pour réaliser une recette, par exemple, reprend l’éducatrice. Ils apprennent les additions et les soustractions ». David Nabucet, chef de service ajoute : « Payer tout seul, c’est être acteur, obtenir des choses, comme tout le monde. Acheter, c’est une rencontre importante dans la sociabilisation. L’inclusion ce n’est pas que le scolaire, ce sont aussi les loisirs. Des outils comme le porte-monnaie peuvent changer le regard des autres ». Le porte-monnaie est utilisable par les enfants en milieu ordinaire en attendant qu’ils sachent compter avec des nombres à deux chiffres.
Dix outils d’apprentissage. Laurence, ex logisti- cienne « à l’aise avec les chiffres », aujourd’hui AVS (auxiliaire de vie scolaire), a profité du confinement pour créer de nouveaux supports d’apprentissage. « Des outils de manipulation à base de cartes mentales pour accéder rapidement aux mathématiques. J’ai créé les supports qui me manquaient quand je voulais expliquer quelque chose à des enfants avec des difficultés ». Apprendre les nombres à deux chiffres, les dizaines et les unités, trier les nombres, les décomposer, résoudre des problèmes... au total, Laurence a ajouté six supports « à manipuler car on sait que cela répond aux besoins des enfants en bas âge ». Atout environ- nemental, les supports fonctionnent avec un crayon effaçable et sont, donc, réutilisables. Laurence part, aujourd’hui, à la rencontre des enseignants pour faire connaître ses outils et aimerait développer son activi- té. Son but : fabriquer davantage pour faire baisser lecoût et rendre les variantes de tuteuro accessibles au plus grand nombre. www.tuteuro.com
Patrice Hénaff,
directeur de Rich’ESS pôle d’Économie Sociale et Solidaire du Pays de Saint-Brieuc
Innover socialement, c’est décider. «Dans la mythologie grecque, les Amazones étaient des guerrières légendaires. Laurence Gauvry est cer- tainement, comme beaucoup de mamans dont l’en- fant est en situation de handicap, l’une d’entre elles. À l’instar de Carole Bourdais Save, la Maison Escargot à Plédéliac (22), Fabienne Such, Col’Oc Autisme, Prades- Le-Lez (34) ou bien encore Rozenn Morice, Familles So- lidaires Bretagne à Quévert (22), Laurence Gauvry a, comme toutes ces femmes, construit, à la force de ses bras, une réponse à ses besoins et ceux de son enfant. Son ambition : en faire profiter le plus grand nombre et l’inscrire comme un bien commun. J’ai rencontré chacune d’entre elles, j’ai retrouvé dans chacun de nos échanges la même énergie, la même envie de permettre à leur enfant de vivre la vie la plus classique et ordinaire. J’ai vu, dans leurs yeux, le refus de penser qu’aucune solution ne pouvait exister. Les solutions n’existaient pas, elles les ont portées, elles les ont fait naître. L’innovation sociale n’est ni une science exacte, ni un produit marketing disponible dans le rayon du premier supermarché du coin, c’est encore moins quelque chose de simple à réaliser tellement la recette nécessite d’ingrédients : le courage, l’envie de combattre pour changer les choses, l’empathie, l’envie de partager avec le plus grand nombre. Mais l’ingrédient principal c’est vous, nous, tous ceux ou toutes celles qui sentent, comprennent, décident que quelque chose est possible. Innover socialement c’est décider ».
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