Quand elle raconte l’histoire de son château, Caroline de Bagneux ponctue son discours de « c’était très amusant », « nous étions un peu fous » et « c’est beaucoup de travail ». Un bon résumé du quotidien de celle qui s’évertue à conserver ce patrimoine et faire perdurer une histoire familiale qui commence au XIIe siècle. Rencontre.
Par Marie-Laure Ribault-Charles.
Photos : Noémie Lefèvre, tous droits réservés.
À 73 ans, le mot retraite ne fait pas partie du vocabulaire de Caroline de Bagneux. Celle qui avoue être «debout à 5h», quotidiennement, enchaîne les journées, les semaines et les années depuis l’ouverture du château en 1986. À l’équipe qu’elle formait avec son père, a succédé celle qu’elle forme avec ses enfants Florence et François, ainsi que
Solange, sa belle-fille. Ensemble, ils accueillent le public pour des visites du château, les groupes, séminaires, organisent diverses animations et des repas confectionnés par Caroline elle-même. Si elle concède que « c’est beaucoup de travail », sa vie est ici. Ses vacances aussi. Avec l’enthousiasme, toujours intact, des premiers jours.
L’ouverture au public
En 1983, après le décès de son grand-père Jean Frotier de Bagneux, maire de Quintin, conseiller général et sénateur, « il fallait faire perdurer ce château qu’il avait légué à ses deux fils. Mon père Gérard s’y est investi totalement », débute-t-elle. Sa vivacité de ton témoigne d’un engagement fort qui n’a pas faibli. « Nous n’avions pas le choix et, à l’époque, nous ne l’avons pas réfléchi en matière d’entreprise ». Pour pouvoir réaliser ce projet, la famille créée quand même une SARL avec une gérance bénévole ainsi qu’une association. En 1985, la création des Journées du Patrimoine, par Jack Lang, donne une idée àCarolineetsonpère:«Etsion ouvrait le château aux Quintinais ? ». Le public découvre l’entrée, le salon et la salle à manger ainsi que des archives installées sur des paravents empruntés à la MJC. « Nous avons accueilli 4 000 personnes, c’était fou », se souvient-elle dans un sourire. Les témoignages recueillis dans le livre d’or ont été nombreux et unanimes en faveur de l’ouverture de ce patrimoine. « Ce qui nous a encouragés à aller plus loin et à ouvrir nos portes aux visiteurs ». Son père et elle vont alors former un duo qui va transformer leur lieu de vie « petit à petit ».
Pionnière dans les expositions
A partir de 1987, Caroline prend plaisir à organiser des expositions d’envergure avec des collections présentées dans les par- ties privées du château. Faïences de Quimper, poupées bretonnes, pipes, automates... En 1991, une opportunité va donner un coup de pouce à leur lancement : accueillir une exposition organisée par le Département et qui devait se tenir à La Roche Jagu « Jean Hélion autour du triptyque du Dragon », avec la participation du Fonds d’art contemporain Bretagne (FRAC). « Nous avons mis a leur disposition les écuries. En échange, ils nous ont laissé l’éclairage et les cimaises. Ainsi, la présentation des expositions ne se faisait plus dans les parties privés du château ». De nouvelles expositions ont vu le jour : les biberons à travers les âges, le cheval en collaboration avec la maison Hermès et les vases de nuit (pots de chambre). « Nous en avions 1 500 ! rit-elle. Je m’occupais de trouver les collectionneurs et mon père se chargeait des recherches pour en faire découvrir l’histoire. Il était un conteur hors-pair ». S’en suivait la collecte des objets parfois à l’autre bout de la France. Des souvenirs inoubliables en compagnie de sa mère, dans un petit camion, « avec la vigi- lance nécessaire vis-à-vis des assurances ». À cette époque, ils bénéficient de plusieurs repor- tages sur « Antenne 2 ». Succès assuré : « le lendemain de ces reportages nous recevions 400 personnes tous les après-midis ».
« Il faut toujours trouver de nouvelles choses à explorer »
Une nouvelle activité
Toutes les recettes sont réinves- ties dans la restauration du châ- teau XVIIIe. « Nous avons eu, ain- si, la chance d’obtenir une aide de Pôle emploi qui, à l’époque, avait un budget pour la forma- tion de maçons, encadrée par une entreprise spécialisée dans les monuments historiques. Ils ont restauré la façade envahie de lierre, les murs des écuries, le plafond de l’ancienne cuisine dotée d’un potager (fourneau en granit du XVIIIe rénové par le lycée Jean Monnet de Quintin) qui se visite à ce jour. En contre- partie, nous les nourrissions ». Un coup de pouce qui vient compléter les travaux réalisés par la famille. En 1995, Caroline s’installe aux fourneaux pour accueillir des groupes dans leur salle à manger. « J’ai appris sur le tas, ma grand-mère et mon père m’ayant transmis la passion de la cuisine. C’est ma détente ». Cela ne fait qu’une dixaine d’an- nées qu’elle s’est modernisée : chauffe-plats, un four à six ni- veaux... En 2002, les anciennes écuries sont restaurées et destinées à accueillir le restaurant avec chauffage, carrelage, parquet et tables rondes. « Nous y recevons quelques mariages et, à partir de 2017, l’actualité devient de plus en plus dense entre les repas, les murder parties, les soirées aux chandelles, les sémi- naires, les locations d’espace ».
Une histoire de famille Les anciens logements des régisseurs qui ont abrité la Croix rouge de Quintin, « dans la- quelle ma grand-mère était investie », sont restaurés pour y accueillir les expositions. À la recherche de nouveautés depuis 2022, le château propose désormais des visites animées et théâtralisées. Le projet de Caroline et son père est aujourd’hui une véritable entreprise qui contri- bue à l’entretien de la partie du XVIIIe siècle du château. Avec satisfaction : « La présence de mon entourage apporte un renouveau », ajoute-t-elle. De nouvelles restaurations, suivies essentiellement par François et Solange, sont en cours. Depuis 2013, le château XVIIe bénéficie d’une participation financière de la DRAC et du Conseil régional de Bretagne « pour un projet d’envergure dédié aux métiers d’art et une ouverture au public d’ici quelques années ». La tour des archives, elle, en travaux depuis 2022, sera ouverte, en principe, en 2024, « grâce à l’aide financière de la mission Bern, la Fondation du Patrimoine, la DRAC et le Conseil régional de Bretagne », précise-t-elle. Quatre générations vivent aujourd’hui au château de Quintin : la comtesse Gérard de Bagneux, 97 ans, sa fille Caroline, ses petits-enfants Florence, François et son épouse Solange et leurs quatre enfants Jean, Thibault, Alban et Antoine. La relève est assurée. Ce patrimoine familial du XIIe siècle est résolument ancré au XXIe.
Comments