Armoricaine eau-de-vie
David Roussier dirige, depuis 2016, la distillerie Warenghem à Lannion. Entreprise séculaire spécialisée dans les spiritueux, labellisée Entreprise du patrimoine vivant, elle produit LE whisky breton ! Visite au chai.
Photo : Lou Le Coq, L'Oeil de Lou. Tous droits réservés.
« Lorsque je suis arrivé, on faisait un whisky breton. Aujourd’hui, c’est LE whisky breton », sourit David Roussier. Et il confesse : « Je ne buvais pas de whisky, je ne connaissais rien au monde des spiritueux ». Ça, c’était en 2009. Pendant deux ans, fraîchement intégré à l’entreprise, le jeune homme analyse la situation. « Le chouchen était réservé au marché breton, la fine de Bretagne représentait un tout petit marché et, il y a 15 ans, les liqueurs n’étaient pas à la mode. Seul, le whisky avait un potentiel de développement. Nous étions les pionniers en la matière mais notre whisky était principalement vendu en marque blanche pour la grande distribution ». David se met en quête des lettres de noblesse qu’il souhaite donner à son spiritueux et prend un billet pour l’Écosse. « J’ai été accueilli à bras ouverts et découvert un monde génial dont j’ai eu envie de faire partie. J’ai rencontré Jim Swan, un consultant réputé dans le monde du whisky qui a trouvé génial que je reprenne la distillerie. On a beaucoup discuté, on a travaillé ensemble, il m’a appris énormément de choses sur le whisky. C’est là qu’est née la passion ».
Le 15e homme
À l’arrivée de David, l’entreprise compte 14 salariés, « je suis le 15e homme », les ventes se font principalement en Bretagne et, Armorik, la marque de la distillerie, représente 25 000 bouteilles sur les 600 000 produites par an. Le whisky breton WB, « un blend composé de 25 % de Whisky de Malt et de 75 % de Whisky de grain », a été créé en 1987. En 1993, une distillerie est dédiée à sa fabrication « avec deux alambics en cuivre inspirés des distilleries écossaises ». En 2013, après les échanges outre-Manche initiés par David, naît Armorik Double maturation. « Il est consacré meilleur whisky européen aux World Whiskies Awards en 2013, puis double médaille d’or, en 2014, au San Francisco World Spirits Competition ». Une reconnaissance qui lui ouvre les portes de l’export : Europe mais aussi Suède, États-Unis, Canada, Australie. « Depuis un an, ça bouge bien au Japon, en Corée et en Chine. Ce n’est pas le cœur de ce que l’on fait mais ça fait plaisir, ça donne une crédibilité ». En 2015, la distillerie participe à la création de l’indication géographique « whisky breton », garantissant que « le whisky fabriqué en Bretagne soit brassé, fermenté, distillé et vieilli en Bretagne ».
Historique sur le marché
« Premier whisky français et en Europe, hors Écosse et Irlande. On fait partie des premières distilleries qui se sont lancées à l’époque où il n’y avait rien », retrace David. Un petit monde où « on se connaît » et où le whisky de Lannion a su faire sa place. « Je me souviens d’une dégustation dans un club en Écosse. En majorité, les personnes étaient venues parce qu’elles trouvaient ça drôle. Elles ont été séduites par notre qualité ». Réalisé à base de blé 100 % breton ou d’orge, 40 % breton, 60 % français, sa particularité est liée au climat et à la qualité de l’eau bretonne très peu calcaire. Dans la catégorie des whiskys du monde, « la Bretagne est une origine exotique ! ». « Historique sur le marché », la distillerie Warenghem est aujourd’hui une entreprise auprès de laquelle on vient prendre conseil. « Nos portes sont toujours ouvertes à ceux qui veulent se lancer. C’est comme ça que j’ai été accueilli en Écosse. Maintenant, c’est mon tour ».
Fierté d’un patrimoine
Mais l’image de la marque reste longtemps associée à celle de la grande distribution. « Alors que nous avons, depuis toujours, une super équipe, un super outil, une super histoire... mais pas la fierté associée ». David va alors candidater pour devenir Entreprise du patrimoine vivant. « Une démarche volontaire et une candidature axée sur un savoir-faire unique transmis en interne, pour le préserver et le mettre en valeur, parce qu’il n’y a pas de formation en la matière. En 125 ans d’existence, on fait un peu partie du patrimoine breton. Ce label est une reconnaissance que nous n’avions pas mais qui était méritée ». Il récompense aussi le challenge d’avoir préservé une quinzaine d’emplois à Lannion sur près de 100 ans. « Parce que la finalité, c’est bien ça ». 25 personnes constituent aujourd’hui l’équipe, pour un chiffre d’affaires de 5 M€.
Écosystème
L’ambition de David est de terminer les travaux de la distillerie pour optimiser le travail de l’équipe, économiser l’énergie et l’eau. Il envisage aussi de doubler la capacité de production « tout en restant à taille humaine et valoriser la qualité au sens large ». Ainsi, l’entreprise a acquis les anciens abattoirs du centre-ville de Lannion où elle a installé une tonnellerie depuis le printemps 2023. « C’est une activité que nous avons reprise avec le fils de l’entrepreneur avec lequel nous travaillions déjà. Il possède le savoir-faire, fabrique et répare nos tonneaux, ce qui évite de les jeter. Et l’activité peut s’adresser à d’autres entreprises bretonnes. Ce lieu a vocation à devenir un petit écosystème autour de la distillerie avec, aussi, un bar à whisky ».
Taille humaine
La distillerie de Lannion est créée en 1900, par Léon Warenghem. Originaire du Touquet, il travaillait au cadastre et s’était passionné pour la création de liqueurs. La distillerie se transmet dans la même famille pendant trois générations, jusqu’à ce qu’Yves Leizour en devienne l’associé fin des années 60. Son fils, Gilles, prend la relève en 1983 et passe le flambeau à son gendre, David, en 2016. « Entre ma femme et moi, j’étais le plus motivé des deux pour la reprise. C’était le profil d’entreprise pour lequel j’avais fait des études. Et, l’idée d’avoir une entreprise à taille humaine, avec une implantation locale, un chouette produit avec lequel on pouvait s’amuser, me plaisait. Aujourd’hui nous participons à l’image de la ville, nous attirons du monde à Lannion ! ».
Marie-Laure RC
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