MAMAN SOLO
Cassos, cas soc’, kassos, k-sos, k.sos* ?
Par Gael Taillandier et Marie-Laure Ribault-Charles
Photo : Philippe Boulenger, tous droits réservés
Des mots et des regards - EDITO
Quand nous avons été sollicités pour parler du parcours Femmes en réseau, il nous aurait été facile d’aller les interviewer une heure, de faire une photo, de rentrer écrire et basta. En une demi-journée, c’était bouclé. Mais nous avons eu envie d’aller au-delà : proposer deux pages aux femmes de ce parcours. Leur donner un espace où elles maîtrisent leur discours. Elles ont accepté le challenge. Pendant six séances, nous avons travaillé ensemble sur un thème choisi par elles : kassos. C’est l’image qu’on leur renvoie d’elles-mêmes. Et, vous verrez, elles sont allées plus loin que la simple écriture : relevant le défi de la photo. Ensemble. Après le choix d’un dress-code, elles ont été accueillies, massées et maquillées par Cristelle et May-Leen, la socio-esthéticienne de l’équipe et sa collaboratrice. Puis, elles ont posé devant l’objectif de Philippe Boulenger, déjà complice du parcours Femmes en réseau et du magazine. Ces moments de partage avec nous, mais aussi avec vous, lecteurs, mettent à mal toutes les idées préconçues que chacun peut avoir. Être dans cette situation leur est tombé dessus, comme cela pourrait arriver à n’importe qui. C’est dans ces moments compliqués que nous nous formons aussi, que nous évoluons et que notre force de caractère ressort. Elles ont réussi à trouver le courage de ne pas se renfermer, tout au contraire, elles s’ouvrent et racontent leur quotidien dans ces deux pages. Leur expérience nous montre la force dont elles font preuve pour s’en sortir mais aussi pour supporter le poids des mots et des regards de bon nombre de personnes, inconnus, amis et même familles. Merci à elles, et à Framboise, de nous avoir fait confiance.
GAEL & MARIE-LAURE
Marine, Laëtitia, Stéphanie, Marika, Ophélie, Évelyne, Sonia et Danyang ont suivi, pendant un an, le dispositif Femmes en réseau du CIDFF, centre d’information des femmes et de la famille. L’enjeu : retrouver un équilibre vie pro/vie perso en tenant compte des contraintes de leur situation de maman solo. Pour cela elles ont levé des freins et non des moindres. Elles ont choisi de s’exprimer sur l’un des plus importants à leurs yeux : être perçues comme des « kassos ». Un mot difficile à définir et à orthographier, d’ailleurs. Elles sont unanimes : « On ne se lève pas un matin en se disant : tiens, je vais me mettre au RSA ».
LES DISCRIMINATIONS
« J’ai été l’objet du mémoire de fin d’études d’une élève assistante sociale, sans en être avertie ni même avoir donné mon accord ».
« Notre cadre de vie est moins bien soigné que les autres quartiers de la ville ».
« L’école contacte toujours en priorité les mamans qui n’ont pas d’emploi. Je viens de lui dire que je n’étais pas disponible avant midi et ça l’a agacée ».
« Un jour, une assistante sociale qui sortait de l’école et n’avait pas d’enfant, me donnait des leçons pour élever les miens ».
« Recevant des bons alimentaires, je demande à l’assis- tante sociale si la biocoop La Gambille les acceptait. Elle m’a bien fait comprendre par son attitude que je n’avais pas les moyens donc pas le droit d’aller dans un magasin bio. Elle m’a tellement refroidie que je n’ai pas osé aller demander à La Gambille s’ils acceptaient ces bons ».
« J’ai appelé un huissier pour demander un échéancier pour solder ma dette. Il a refusé et m’a dit : vous n’avez qu’à faire comme tout le monde, vous n’avez qu’à travailler. C’est tellement facile de juger les gens par téléphone ! ».
« Il y a quelques années, dans l’attente de la vente de ma maison que je ne pouvais plus garder, j’ai perçu le RSA. La vente effectuée, j’ai contacté la CAF pour signaler que je n’avais plus besoin de cette aide. La conseillère m’a répondu : « ce n’est pas à vous de savoir si vous avez besoin du RSA ou pas ». J’en suis restée bouche bée. Étais-je redevenue une enfant ? »
LES PRÉJUGÉS
«On est des fainéantes»
«On achète des télés avec l’allocation de rentrée scolaire»
«On profite du système»
« Ma belle-sœur m’a jugée de Kassos qui profite des aides et ne veut pas travailler »
«On est à la charge de ceux qui travaillent et paient des impôts»
«On nous juge sans nous connaître»
« Lors d’une querelle, mon ex-compagnon m’a balancé : t’es qu’une Kassos, t’es grosse, pas belle. Tu t’es vue ? T’es qu’un sale déchet, c’est pour ça que tu n’as plus d’amis »
LA RÉALITÉ
« On ne se lève pas un matin en disant, ”tiens je vais me mettre au RSA”. Pour la plupart d’entre nous, le RSA intervient après une séparation, une maladie ou la perte d’un emploi... et nous sommes d’horizons socio-professionnels différents. Dans cette situation, beaucoup de sollicitations se cumulent, voire se téléscopent : suivi du RSA, assistante sociale, services de l’enfance, écoles, suivis médicaux pour certains enfants... Nous nous voyons fixer des rendez-vous sans nous demander si nous sommes libres, comme si nos quotidiens n’avaient pas d’importance. Nous acceptons les contraintes dans la crainte d’être sanctionnées. Ce n’est pas parce que nous sommes sans boulot que nous ne savons pas réfléchir ! Ce n’est pas parce que nous sommes sans boulot que nous n’avons pas de compétences ni de qualités ! On sait gérer une équipe – nos enfants ! -, un budget - souvent serré -, un planning, des urgences... autant d’atouts pour une vie professionnelle. Bien évidemment, nous souhaitons toutes avoir une meilleure situation demain ! Mais, pour cela, nous avons besoin de temps pour nous. Pour mieux se connaître soi-même, reprendre confiance en soi, retrouver notre valeur... et rebondir ! ».
cotesdarmor.cidff.info
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