Installé dans les Côtes d’Amor depuis près de trois ans, le Slameur Damien Noury s’est réaccordé à un nouvel environnement. Rapport à la nature, relations professionnelles, liens au public. Lui dont le métier est «d’écrire pour dire» se retrouve dans l’une des valeurs locales traditionnelles : l’oralité.
Faire de la poésie, un moyen d’insuffler du lien entre les gens.
Itinéraire d’un comédien épanoui.

photo : Noémie Lefèvre. Tous droits réservés.
Les Voix du Verbe, son dernier spectacle est né juste avant le premier confinement. L’arrêt total de toute la filière culturelle depuis 18 mois a imposé au slameur « des glissements de calendrier ». Dans ce temps suspendu, l’artiste a continué son parcours de création malgré la « secousse sur l’organisation ». Il a quand même pu présenter Les Voix du Verbe à un parterre de professionnels en mars dernier et mis au point deux autres petites formes pour la saison prochaine. Diplômé du théâtre-école du Théâtre du Rond- Point, le comédien s’est aventuré sur le terrain de la libre expression au début des années 2000. « Sur un festival nous avons découvert une scène ^ô. Au même moment, sortait au cinéma le film « Slam » de Marc Levin. J’avais un dénominateur commun avec le slameur : la scène. Tu écris ton texte et tu sais que tu vas l’interpréter sur scène. Tu l’écris pour le dire ». Il ressort ses carnets de notes. En 2004, il forme un duo de textes de Slam avec la compagnie L’Uppercut qu’il a créée à la sortie de sa formation. AC pour En nos Âmes et Consciences. « Une forme brute, a capella. Un ping-pong verbal épais dans l’engagement politique et existentiel. Un an plus tard, la médiatisation de Grand Corps Malade produit un appel d’air, le téléphone s’est mis à sonner. On a creusé le sillon de l’oralité poétique ». C’est à cette époque qu’il rencontre les Côtes d’Armor : en jouant son spectacle au café de Tredrez Loquemeau. « Il y avait deux programmatrices de l’office de diffusion culturel des Côtes d’Armor dans la salle. Entre 2004 et 2014, nous avons collaboré avec elles ». Damien et sa compagnie se produisent dans plusieurs festivals costarmoricains, « Nos spectacles avaient des volets culturels : des ateliers dans les collèges et les lycées, des résidences in situ. Et nous avons rencontré d’autres acteurs culturels locaux » .
Spoken words. L’engouement des salles et des festivals dure quatre années, s’étiole avec la fréquentation. Le collectif de l’Uppercut se ventile, Damien s’engage sur une aventure musicale : Bleu Silex. « Un rock electro spoken words ». Un dernier album en 2018 et un single l’année suivante. Le projet ne rencontre pas son public faute d’adéquation au système. « Nous n’entrions pas dans la case de l’émergence ni dans celle des productions de niche. Je l’ai vécu comme une blessure professionnelle ». Le comédien qui vit alors en région parisienne constate la baisse des dotations culturelles des collectivités locales et la réduction de la marge de manoeuvre des programmateurs qui pénalise des projets artistiques comme le sien. Il décide de changer de vie : « après 25 ans dans la centrifugeuse, j’étais arrivé au bout de ce que je pouvais faire ». En 2017, il met le cap à l’Ouest. Les Côtes d’Armor : « parce j’avais un réseau à réactiver » mais aussi « parce qu’il fallait que je sois près de la mer. La perspective de la mer c’est l’horizon ». Un tout autre environnement. Un jardin. « Quand tu vis dans un cadre urbain, les échanges médiatiques, la représentation sociale... tout cela guide ton cadre de vie. Le rapport à la terre te remet au présent, dégonfle le vortex dans lequel un artiste peut se complaire et se perdre. Depuis que je suis ici je n’ai jamais été aussi efficace dans mon travail ». Loin d’un Paris qu’il voit comme un fantasme de la réussite, il pratique ici « l’exercice de la réalisation. Les relations sont plus directes, plus authentiques, plus simples ».
Slam et générations. Alors il a construit. Les Voix du Verbe, accompagné par un musicien : « je travaille avec des textes dont je ne suis pas l’auteur. J’aborde la place de la poétique dans l’existence. Je renoue avec mon expérience aux auteurs dont mon premier souvenir est ma soeur qui récite Jacques Prévert quand j’ai cinq ans ». Une chanson, un texte sur lequel on tombe par hasard.... Damien s’aventure dans d’autres textes que les siens : il revient à son métier d’acteur. Avec ce projet, il a « trouvé comment continuer à travailler sur quelque chose qui puisse faire sens ». Son ambition : réinsuffler du lien entre les gens avec la poésie. «La scène slam mixe les générations, les classes sociales. Le public est acteur et spectateur à la fois». Une proposition dont il sait qu’elle aura de l’écho sur la scène costarmoricaine : « ici, il y a un rapport particulier à l’oralité. Les gens sont réceptifs à ça : la tradition de la veillée, de partage et des liens communautaires qui sont assez forts pour la valoriser. C’est une valeur».
Culture et Covid
Cette parenthèse aura existé
« Il y a eu des choses bénéfiques. Le Fonds de Solidarité a eu, pour moi, un effet d’aubaine, je l’ai utilisé pour créer : un spectacle (les Voix du Verbe, ndlr), un solo tout terrain avec mes textes et La Caravane Slam, une scène itinérante sur le département : Paimpol, Dinan, Locquémo, Trégueux, Lamballe... J’y pensais déjà avant mais le contexte l’a fait grandir. La crise a aussi ouvert des espaces de discussion entre tous les acteurs de la scène culturelle locale. Nous avons l’habitude d’échanger avec des programmateurs, des institutionnels et là, des liens se sont approfondis avec d’autres artistes. Nous avions tous le nez dans le guidon, cette pause a été l’occasion d’envisager des collaborations, on a senti qu’on pouvait se fédérer. Retrouvera t-on nos vieilles habitudes ? Que restera t-il de ça ?
En tous cas, cette parenthèse aura existé »
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