« La plus belle histoire de ma vie »
Clément Fraboulet, éducateur, est bénévole dans l’association Les Matelots de la Vie. Il vit son premier embarquement, suite à son sarcome des cervicales, à dix-sept ans : « La plus belle histoire de ma vie, celle qui lui a donné du sens ».
Par Marie-Laure RC. Photos Lou Lecoq, tous droits réservés.
Il embarque désormais un an sur deux. Clément, 30 ans, est responsable des « relations ports » et de l’organisation des stages préparatoires aux embarquements des Matelots de la Vie. L’association fait monter à bord de vieux gréements, une fois par an, des enfants malades. « Ils ont entre douze et seize ans et chacun est ambassadeur d’un hôpital. Pendant l’expédition, nous organisons des défis auxquels participent les enfants hospitalisés ». Clément embarque, pour la première fois, en 2011. Il a dix-sept ans. « Je vivais à Saint-Gilles-Vieux-Marché, dans le centre Bretagne. Je n’avais jamais mis le pied sur un bateau ».
C’est son oncologue qui lui conseille de poser sa candidature pour être matelot. « J’avais réalisé ma dernière séance de chimio, mon traitement avait très bien fonctionné, c’était hyper positif. Elle trouvait que j’allais beaucoup à la rencontre des autres, que j’apportais de la joie de vivre… ». Envoyer des ondes positives aux autres, c’était dans les cordes du jeune homme qui prend contact avec l’association du Sud Bretagne. Sa candidature retenue, il suit le stage préparatoire. « Je me retrouve avec d’autres enfants qui ont des pépins de santé : diabète, mucoviscidose, Sida… Le stage avait pour mission de créer la cohésion de groupe nécessaire pour la constitution d’un équipage basé sur la solidarité et l’entraide. Il a fallu apprendre à parler de soi ». Puis il est parti en mer, l’été suivant, sur le Bora-Bora, « un bateau incroyable ».
Utile pour d’autres enfants
Il navigue trois semaines, entre Brest et Pornichet. « C’était la première fois que je pouvais évoquer mon cancer sur quelque chose de positif. Ça me soûlait qu’on s’apitoie sur mon sort. Là, je me sentais utile pour d’autres enfants ». Recherche marine, biodiversité, navigation… « On était dans le « faire ». J’ai appris tellement de choses en trois semaines ». Le jeune homme discute aussi beaucoup avec les encadrants, des éducateurs, ce qui décidera de sa future orientation : éducateur. « À la fin de l’expédition, j’avais dit que je reviendrais comme encadrant ». Chose qu’il a faite dès l’année suivante. À dix-huit ans. « Malgré mon jeune âge, cela a été hyper positif pour moi. Il a fallu que je gère mon groupe et les conflits, avec des jeunes qui n’étaient pas beaucoup plus âgés que moi ».
Sa débrouillardise et son sens du relationnel ont fait le reste. Toujours investi depuis, il a enrôlé sa compagne. Ses embarquements un an sur deux sont motivés « par les liens qui nous lient aux matelots. C’est assez fort. On est H24 ensemble, c’est dur de les lâcher. Je préfère prendre un peu de temps pour bien accueillir les suivants ». Les souvenirs sont nombreux et Clément les évoque avec le sourire. Même quand certains ont tiré leur révérence depuis, comme le petit Julien. « C’est toujours une claque, mais le témoignage des parents nous incite à continuer ».
Sarcome des cervicales
Clément a seize ans quand, suite à une séance de sport, les médecins lui diagnostiquent un sarcome sur les cervicales. La tumeur est localisée mais trop près de la moelle épinière pour être opérable. Il suit donc une chimiothérapie avec des séjours de trois à quatre jours à l’hôpital toutes les trois semaines. Il échappe à la chambre stérile « où vous êtes coupé de tout lien social et du toucher ». Il complète son traitement en Suisse, en protonthérapie «parce que la radiothérapie n’était pas assez précise à l’époque », dont il sortira avec des brûlures au 3e degré. « C’était indispensable à la radiation totale de la tumeur. Quand on vit cela à l’adolescence, on prend l’information, on essaie de trouver une solution, on s’adapte. L’acceptation n’est pas la même que lorsqu’on est adulte où on réfléchit beaucoup plus ».
Un an et demi de traitements pendant lequel Clément a appris à « écouter » son corps, « à relativiser ce qui est important de ce qui ne l’est pas. Pour autant, il y a les mots invisibles du cancer. Quand on a une douleur, on n’est jamais serein, on pense fatalement à la rechute possible. Pourtant, moi j’ai de la chance ». L’expérience avec les Matelots de la Vie amène le jeune homme à « mûrir plus vite ». « J’étais redevenu un enfant comme les autres et non plus un enfant malade à qui on épargne tout. Là, je remettais les pieds sur terre et je participais aux tâches quotidiennes. J’ai aussi pu asseoir mon identité, apprendre à défendre mon point de vue, à aller chercher et vérifier des informations, à aller vers l’inconnu ».
Tout est possible
Un apprentissage qui lui a permis de prendre confiance en lui, d’ouvrir un « tout est possible». Par la suite, il monte une association avec des jeunes de son village « pour fédérer et promouvoir les démarches locales ». Dans son métier d’éducateur aujourd’hui, il est aussi à l’origine d’une association d’aide aux jeunes pour favoriser une mobilité durable vers l’emploi. « La recyclette c’est du recyclage et du détournement d’objet. Restaurer l’objet pour se restaurer soi-même ».
Un emploi du temps bien rempli avant l’embarquement de l’été prochain. « Nous espérons pouvoir organiser en août 2025 une expédition en Méditerranée avec la Corse en objectif Le président en a informé S.A.R la princesse Caroline de Hanovre, marraine de l’association, dont le précieux soutien avait permis l’organisation d’une expédition similaire en 2017. Si le projet est aujourd’hui bien engagé -- recrutement des encadrants et affrètement d’un voilier -, il nous faut encore trouver des partenaires pour le finaliser. Alors nous pourrons initier le recrutement des Matelots qui seront à mes côtés ». Et perpétuer « la plus belle histoire de ma vie. Celle qui a donné du sens à la mienne, pourquoi pas à d’autres ? »
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